Temps de lecture : 9 minutesSalain Bayet, Sylvie Le Minez et Valérie Roux, Insee
Les données sur les décès par département que l’INSEE diffuse exceptionnellement depuis le vendredi 27 mars aident à estimer l’excès de mortalité dans notre pays. C’est à partir de cette surmortalité que les experts évaluent l’impact des éclosions de grippe. Pour Covid-19, les ascenseurs hospitaliers et maintenant les maisons de soins infirmiers fournissent une vision quotidienne des décès directement causés par le virus, sans couvrir l’ensemble des effets de l’épidémie sur la mortalité. L’un des défis est que la mortalité due à Covid-19 peut dépendre de l’évolution d’autres causes de morbidité pendant le confinement et devra tenir compte, comme la grippe, des décès qui peuvent survenir quelques semaines plus tard. Il faudra donc du temps pour établir une évaluation statistique rigoureuse des conséquences du virus sur la mortalité en France, comme dans le monde.
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L’ éclosion de « Covid-19 » ou de coronavirus a déclenché une avalanche de information, pour essayer de répondre à des questions pas si simples : combien de personnes vont être malades avec Covid-19, combien vont mourir ? Et quelle comparaison peut être faite avec la grippe saisonnière ?
Afin d’éclairer le débat public, l’INSEE a la responsabilité de rendre compte des décès. En effet, l’Institut tient le Registre national d’identification des personnes physiques (RNIPP) dans lequel sont enregistrés les naissances et les décès des personnes nées en France et de celles qui y vivent ou y vivent. C’est pourquoi l’Institut a exceptionnellement décidé de mettre à disposition chaque semaine les derniers chiffres disponibles sur l’état civil. Concrètement, chaque vendredi, l’INSEE publie maintenant le nombre de décès totaux constatés 11 jours plus tôt, et 7 jours plus tôt pour les municipalités qui transmettent leurs données de manière dématérialisée. Les données sont disponibles pour la France et par département du lieu du décès.
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Ces données, qui cumulent toutes les causes de décès, sont provisoires. Il est nécessaire d’être très prudent à court terme sur leur interprétation. Premièrement, parce qu’ils ne reviennent pas instantanément : aux délais légaux habituels — les municipalités disposent d’une semaine pour transmettre les décès à l’INSEE — peuvent être ajoutés des perturbations spécifiques spécifiques à la période de confinement — en particulier pour les bulletins envoyés par la poste. Il faut aussi compter sur les difficultés spécifiques rencontrées par certaines communes, notamment la ville de Marseille, victime d’un ordinateur cyber-attaque. Deuxièmement, parce que les circonstances sans précédent de confinement peuvent avoir un effet sur d’autres causes de décès : les accidents sur les routes publiques sont a priori moins nombreux, mais les effets du confinement sont incertains sur les principales causes de décès telles que les tumeurs et les accidents cardiovasculaires. Enfin, la gestion de la crise peut perturber les données au niveau départemental : les patients peuvent être hospitalisés et malheureusement mourir loin de leur domicile, et même loin de l’hôpital d’origine en cas de transfert de santé.
Comme un nouveau virus, encore mal connu, les médecins et les épidémiologistes auront besoin d’un certain temps pour répondre clairement et définitivement aux questions sur l’impact précis de Covid-19 sur la mortalité.
Plan de l'article
La modélisation des décès attendus permet d’estimer l’excès de mortalité en cas d’épidémie
Il faut d’abord avoir à l’esprit quelques ordres de grandeur : en France, le nombre annuel de décès est de 600 000, soit une moyenne de 1.650 par jour ; souvent en hiver et en été, et le nombre de décès quotidiens se situe généralement entre 1 500 en été et 1 800 en hiver, mais il peut dépasser 2 000 pendant les pics saisonniers de la grippe (comme dans Janvier 2017, avec une moyenne de 2 200 décès par jour).
Remarque : L’épidémie de grippe hivernale 2018-2019, dont le sommet a été atteint au début de février 2019, était de durée limitée (8 semaines), mais avec une mortalité élevée. La mortalité, cependant, est inférieure à l’épidémie de l’hiver précédent (2017-2018), qui avait été exceptionnellement longue. En ce qui concerne l’épidémie de grippe hivernale 2019-2020, il n’y a pas eu d’excès de mortalité toutes causes jusqu’au début du mois de mars (voir Santé Publique France) Source : Insee, état matrimonial
Les données quotidiennes sur les décès mises à disposition chaque semaine par l’INSEE sont des données brutes (encore incomplètes) qui permettent une comparaison directe avec les deux années précédentes. Toutefois, il n’est pas possible de déduire directement une estimation de l’excès de mortalité qui nécessite un traitement statistique plus approfondi. Par exemple, parmi les fortes augmentations des décès observées entre le 1er et le 23 mars, celle du Haut Rhin est certainement liée à l’épidémie ; d’autre part, celles des Deux-Sèvres ou Mayotte ne sont probablement pas liées à l’épidémie. Dans les départements où le nombre de décès est généralement assez faible, il peut y avoir de fortes variations en pourcentage d’une année à l’autre, difficiles à expliquer et qui ne relèvent pas d’une épidémie.
Cette estimation de l’excès de mortalité relève de la responsabilité de Santé publique France. Dans le cadre de sa mission de suivi des crises sanitaires et de suivi de leur impact, Santé Publique France réalise estimations régulières, sur la base des levées déclarations d’état civil. Centralisés par l’INSEE, ils couvrent un échantillon de 3 000 municipalités qui enregistrent et transmettent des décès sous forme dématérialisée depuis plusieurs années. Ces municipalités représentent 77 % des décès nationaux. Santé publique La France dispose donc rapidement d’informations incomplètes mais suffisantes sur le nombre de décès pour comparer ce nombre à celui des décès « attendus ». Ce nombre de décès « attendus » tient compte des observations passées et de la saisonnalité des décès, de l’évolution du nombre et de la répartition par âge. Ce nombre n’est pas connu des centaines les plus proches. Cependant, des épidémies importantes ne peuvent pas passer inaperçues.
Lorsque nous observons des fluctuations au cours de l’année, l’effet de la grippe saisonnière est très différent d’une année à l’autre, tant par son ampleur que par sa durée. Ainsi, depuis le milieu de 2013, la grippe saisonnière durant l’hiver 2013/2014 et, dans une moindre mesure, celle de l’hiver 2015-2016 et de la grippe hivernale actuelle ont eu peu d’incidence sur la mortalité. C’est loin d’être le cas pour les quatre autres hivers de la période, à commencer par ceux des trois dernières années : au cours des premiers mois de 2019, Santé Publique France a observé une « surmortalité », toutes causes confondues, d’environ 12 000 durant l’épidémie de grippe, par rapport à celle observée en 2016-2017 (environ 21 000) et 2017-18 (18 000 environ). En croisant ces données vitales avec celles du système de santé (médecins et hôpitaux du réseau sentinelle), Santé Publique France produit une estimation du nombre de décès attribuables de première ligne à la grippe, représentant environ 70% de cette « surmortalité ». La grippe n’est pas la seule épidémie hivernale, et la modélisation est nécessaire : elle est autorisée par l’observation répétée, pendant de nombreuses années, de la succession d’épidémies de grippe et de gastro-entérite en particulier. Ces observations montrent un chiffre très élevé, selon lequel la grippe tue en moyenne 10 000 personnes chaque année en France : environ 8 000 en 2019, 13 000 en 2018, 14 500 en 2017.
Note de lecture : Ce graphique couvre la période allant de la semaine 36 de 2013 à la semaine 12 de 2020 (du 16 au 22 mars), qui marque le début de l’effet visible à l’échelle nationale du nouveau virus (illustré sur le graphique aux semaines 5 et 31 de chaque année). Les données observées couvrent 77 % de la population, car elles correspondent aux décès enregistrés dans un échantillon de 3 000 municipalités sous forme dématérialisée. Elles ne sont pas extrapolées, car une telle extrapolation peut être malheureuse sur une semaine donnée ; néanmoins, pour obtenir un ordre de grandeur, 10.000 décès par semaine, la France totale correspond à environ 8 000 décès sur ce graphique. Source : Point épidémiologique hebdomadaire, 2 avril 2020, Santé publique France
Grippe, cause directe ou indirecte de décès
Une fois identifié, il reste à voir combien de décès l’épidémie provoque réellement. La réponse est complexe car elle doit tenir compte de la « comorbidité », c’est – à – dire la combinaison, en règle générale, de plusieurs facteurs lorsque l’épidémie de grippe affecte la population chaque hiver : en effet, dans les certificats de décès, les médecins doivent coder les différentes causes selon une classification internationale des maladies. La cause initiale du décès est alors définie comme étant la maladie, ou les circonstances en cas de mort violente (suicide, accident, homicide), « la cause du processus morbide menant à la mort ». C’est ainsi que pour un patient présentant un exemple d’infection pulmonaire, de maladie respiratoire ou de diabète, la grippe peut précipiter la mort sans être considérée comme la cause directe Le décès aurait eu lieu, mais quelques semaines ou quelques mois plus tard. Selon cette classification, chaque année en France « seulement » quelques centaines de décès attribuables à la principale cause de la grippe sont enregistrés : ce nombre variait entre 317 et 1.890 selon les années 2011 à 2016, selon les données collectées et publiées par le centre épidémiologique sur les causes médicales de la mort. Il peut y avoir un rapport de 1 à 10 entre le nombre de les décès causés directement par la grippe et identifiés comme tels dans les certificats de décès et le nombre de décès pour lesquels l’épidémie est « responsable », mesuré à partir de l’analyse statistique de l’excès de mortalité.
temps Contrairement à la grippe ou à la vague de chaleur, pour laquelle des observations répétées et la mise en œuvre de mécanismes de surveillance spécifiques permettent d’affiner les modèles et les analyses, le coronavirus est une nouvelle maladie. Toutefois, il n’y a pas de manque d’informations sur le nombre de cas enregistrés et le nombre de décès connexes. Il provient principalement des ascensions hospitalières, qui enregistrent des décès directement attribués à Covid dans leurs services, mais aussi des arrivées et sorties de services qui mesurent l’évolution de l’épidémie. Il est récemment complété par des ascenseurs des maisons de retraite.
Dans une publication d’octobre 2017 sur l’analyse des lieux de décès enregistrés en 2016, l’INSEE a estimé 59% des décès se produisent dans un établissement de santé, 26 % à domicile, 14 % dans des maisons de soins infirmiers et 1 % sur les routes publiques. Mais ce qui est vrai en général peut être différent pour une pathologie donnée, et le confinement lui-même peut avoir un impact spécifique, difficile à prévoir sur l’endroit où se produisent les décès. L’INSEE travaille actuellement sur ces données sur le lieu du décès pour mars 2020 et devrait fournir de plus amples informations à ce sujet dans un proche avenir, ainsi que sur la répartition par sexe et âge des décès.
Pendant la période de l’épidémie, les décès directs seront probablement inférieurs au nombre total de victimes du virus, en particulier parce qu’ils ne concernent que les décès directement attribués à Covid. Cela n’est pas unique à la France, et la part des décès non pris en compte dans les données administratives nationales peut différer sensiblement d’un pays à l’autre. De plus, la mesure de la mortalité spécifique attribuable à un événement exceptionnel tel que l’épidémie de Covid-19 devrait également être analysée dans conjonction avec ce qui peut être arrivé avant ou ce qui se passera après : — avant : la « clémence » de la grippe saisonnière — les mois de janvier et février 2020 sont faibles points de mortalité — sauvé des personnes très fragiles, ce qui a probablement augmenté la population à risque face à cette épidémie ; — par la suite : il pourrait y avoir un « déficit de mortalité » correspondant aux vies raccourcies par l’épidémie, comme cela a été possible après la vague de chaleur de 2003. De même, le pic de décès dus à la grippe en janvier 2017 a été suivi de faibles points de mortalité en mars et avril.
Cela ne remet pas en cause les estimations de l’excès de mortalité liée à l’épidémie, mais peut expliquer la létalité du virus et la mortalité post-épidémique.
Au total, ce travail d’évaluation exige beaucoup d’humilité dans les projections d’aujourd’hui et dans les interprétations de demain. Nous devons être méfiants de ceux qui suggéreraient que nous pouvons calculer les effets de tous ces facteurs par temps chaud, sans en faisant un pas en arrière nécessaire sur la crise et ses conséquences. Dans ses publications, Santé publique France souligne que l’augmentation de la mortalité observée dans les zones les plus touchées est très probablement liée à l’épidémie de Covid-19, sans estimation de la proportion imputable à cette date. L’INSEE s’engage à contribuer à éclairer le débat à long terme, aux côtés de Santé publique France.
En savoir plus
Santé publique France :
- COVID-19 : point épidémiologique du 2 avril 2020, Santé Publique France
Insee :
- Insee, « Nombre de décès quotidiens par département », avril 2020
- Insee, Ministère de la Solidarité et de la Santé, Santé Publique France : » Brochure de suivi épidémique — COVID-19 », mars 2020
- Insee, « Démographie — Nombre de décès — France », Séries chronologiques (données mensuelles)
- Insee, « Démographie — Nombre de décès — France (y compris Mayotte de 2014 à partir de 2014) », Séries chronologiques (données mensuelles)
- Insee, « Décès en 2018 — Statut vital » (données mensuelles par département), Résultats de l’Insee, novembre 2019
- Vanessa Bellamy, « 594 000 personnes décédées en France en 2016, pour un quart d’entre elles chez elles », Insee Focus n° 95, octobre 2017